La vie cachée des perroquets gris sauvages : la toute première étude en RDC

Titre original : Visitation patterns of endangered grey parrots (Psittacus erithacus) in a forest clearing in the Democratic Republic of Congo.

Ariticle published on 16th of August in the journal Ecology and Evolution, available for free Ici.

Janvier 2021. Frederik et moi venons de déménager dans la forêt tropicale congolaise. Nous avons été engagés par la Fondation Dian Fossey pour étudier la biodiversité de la réserve communautaire de Nkuba et nous sommes donc à la recherche de nouveaux projets scientifiques qui pourraient nous aider à mieux connaître la vie sauvage dans la forêt. Nous entendons alors parler par notre équipe de la clairière d’Ungwe où les chasseurs locaux voient chaque matin des grands groupes de perroquets gris du Gabon (Psittacus erithacus). Selon eux, les perroquets se poseraient sur le sol pour se nourrir. Je dresse les oreilles car j’ai une passion pour les perroquets depuis que j’ai étudié les aras de Lafresnaye en Bolivie. Nous devons en savoir plus sur ces perroquets.

Dans les forêts africaines, les perroquets gris ont trois types de prédateurs : les félins comme les léopards, les gros oiseaux de proie et, évidemment, les humains. Pour se protéger, les perroquets passent le plus clair de leur temps à manger au sommet des arbres où ils sont difficiles à attraper et peuvent voir arriver les oiseaux de proie de très loin. Les perroquets doivent donc avoir une très bonne raison de se regrouper et de se poser sur le sol d’une clairière comme celle d’Ungwe, là où ils sont beaucoup plus vulnérables aux prédateurs. Nous étions face à une énigme scientifique, et nous avions une équipe prête à mener l’enquête : Frederik et moi avons décidé de lancer le nouveau Projet Perroquet Gris.

Un tout nouveau projet scientifique sur les perroquets

La toute première étape d’un projet scientifique, c’est de lire la littérature scientifique existante concernant le sujet d’étude. Pour savoir ce qui est déjà connu, et ce qui doit encore être étudié. Je me suis donc mise au travail, et j’ai lu tous les articles scientifiques que j’ai pu trouver sur les perroquets gris sauvages en Afrique (Psittacus erithacus). Et il n’y en avait pas tellement. Le fait est que les perroquets sont très difficiles à étudier dans leurs forêts natives, et les scientifiques en savent relativement peu sur leur écologie et leur comportement dans la nature. Je me suis alors rabattue sur ce qu’on appelle la ‘littérature grise’, qui est constituée d’articles ou autres thèses et rapports qui n’ont pas été publiés dans des revues à comité de lecture, c’est-à-dire des articles qui n’ont pas été validés par d’autres scientifiques. Cela ne veut évidemment pas dire que ces sources ne sont pas intéressantes, mais simplement qu’elles n’ont pas autant de poids dans le domaine de la science. C’est comme ça que je suis tombée sur des observations de scientifiques et une thèse d’une étudiante qui avaient eux aussi observé des perroquets gris atterrissant en groupe dans des clairières en RDC, au Cameroun et en République d’Afrique centrale. Des observations similaires dans différentes forêts, mais personne ne savait si ces clairières sont importantes pour les perroquets ni pourquoi les perroquets s’y rassemblent. Le mystère restait entier.

Le perroquet gris était une espèce très commune dans le bassin du Congo. Certaines sources rapportent des rassemblements de milliers de perroquets dans les dortoirs ou les zones de nidification. Mais malheureusement, des décennies de capture de ces oiseaux magnifiques pour le commerce d’animaux de compagnie conjugué à la déforestation intensive des forêts ont mené les perroquets gris au bord de l’extinction. Dans toutes les clairières où les perroquets avaient été observés, il y avait aussi des braconniers. La clairière d’Ungwe aussi est connue des chasseurs locaux pour la pléthore d’animaux qui viennent y manger et boire, et il y n’est donc pas exclu que les perroquets y soient victimes de braconnage. Il était donc urgent de mieux comprendre comment les perroquets utilisaient la clairière si nous voulions mieux les protéger.

La deuxième étape du projet a rapidement pris forme. Frederik et moi avons conçu un protocole pour observer les perroquets à Ungwe et enregistrer ces observations de manière à pouvoir répondre à quelques questions de base :

  • À quelle fréquence est-ce que les perroquets visitent la clairière ?
  • Combien de temps restent-ils ?
  • Que font-ils quand ils sont sur le sol ?
  • Quels sont les facteurs qui influencent les schémas de visitation des perroquets dans la clairière ?

Si nous pouvions obtenir une réponse à ces questions, nous pourrions mieux comprendre dans quelle mesure les clairières sont importantes pour les perroquets, pourquoi ils viennent et comment mieux les protéger des braconniers.

Notre protocole était simple : deux membres de l’équipe, les observateurs, allaient se poster à la clairière d’Ungwe pendant quelques jours d’affilée chaque mois au cours d’une année. Idéalement, nous aurions eu une équipe présente tous les jours, mais cela est impossible pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le travail de terrain coûte cher (il faut payer les équipes, la nourriture et le matériel), mais il est surtout très difficile mentalement et physiquement. Comme nous en avons fait l’expérience avec Frederik, survivre dans la forêt pendant de longues périodes est épuisant. Nous avons donc décidé que pour le projet, des données collectées sur 90 jours répartis sur l’année seraient plus que suffisants pour tirer des conclusions robustes.

La clairière d’Ungwe est spéciale. C’est un des seuls endroits à des kilomètres à la ronde où il n’y a pas d’arbres. Le sol est couvert d’herbes, de mousses et de fougères baignant dans l’eau, un peu comme une grosse éponge. Cela veut dire qu’il est impossible de camper à proximité de la clairière même, et que nos observateurs devaient se loger dans un camp situé un peu plus loin puis, chaque matin, rejoindre les abords de la clairière à pied. Pendant la saison humide, il était parfois impossible d’atteindre la clairière : la forêt alentour était inondée. Les observateurs devaient absolument arriver à leur point d’observation, toujours le même, et s’y dissimuler en silence avant que le soleil ne se lève et que les premiers perroquets arrivent. Il était crucial de ne pas perturber les perroquets. Une fois installés, les observateurs pouvaient commencer à enregistrer toutes sortes de paramètres et observations :

  • La date et le temps (ensoleillé ou pluvieux)
  • L’heure à laquelle le premier perroquet arrivait dans la zone de la clairière. Le premier perroquet se posait en général dans les arbres autour de la clairière et se mettait à chanter, donc il fallait bien écouter
  • L’heure exacte à laquelle le premier perroquet atterrissait sur le sol de la clairière
  • Toutes les dix minutes, le nombre de perroquets présents sur le sol de la clairière
  • Toutes les dix minutes, une fois qu’ils avaient compté les perroquets, les observateurs devaient choisir un perroquet au hasard et l’observer attentivement pendant 5 minutes (ou jusqu’à ce que le perroquet ne s’envole). Pendant ces 5 minutes, les observateurs devaient enregistrer tous les comportements des perroquets (manger, boire, lisser les plumes, interagir avec d’autres perroquets, s’accoupler ou se déplacer dans la clairière) et l’heure exacte (à la seconde près) où le comportement prenait place.
  • L’heure à laquelle tous les perroquets quittaient la clairière
  • Quoi que ce soit qui puisse effrayer les perroquets et les faire partir

Après un an de travail, nous avons récupéré les données et nous les avons analysées avec des statistiques pour répondre aux questions que nous nous posions.

Résultats

Les perroquets gris visitant la clairière presque tous les matins (4 matins sur 5). Ils arrivent à l’aube, vers 06 heures du matin, et s’en vont avant midi. À chaque visite, les perroquets suivent une sorte de rituel, toujours le même, et ils commencent toujours par se percher sur les arbres autour de la clairière et à chanter. Pendant une heure environ, des perroquets arrivent de toutes les directions pour se joindre à ceux qui chantent. Ensuite, un perroquet se met à voler en rond au-dessus de la clairière, de plus en plus bas, puis atterrit sur le sol. C’est le signal tant attendu : des dizaines d’autres perroquets descendent de leur arbre et atterrissent aux côtés de leur camarade.

Les perroquets restent environ une heure de plus sur le sol de la clairière. Grâce aux observations du comportement des perroquets, nous avons découvert que les perroquets passent le plus clair de ce temps à manger des plantes aquatiques. C’est une petite découverte en soi, car jusque-là, les scientifiques pensaient que les perroquets ne se nourrissaient que de fleurs, de bourgeons, de fruits, de graines et d’écorce d’arbre.

Les perroquets visitent la clairière en groupe de 40 en moyenne, mais les observateurs en ont dénombré jusqu’à 150 individus en une fois in Ungwe. En réalité, les groupes sont plus grands que ces estimations qui sont basées sur le nombre de perroquets vus au sol, mais il y a toujours un certain nombre de perroquets qui reste perché dans les arbres pendant que les autres mangent. Il est impossible de compter exactement ces perroquets ‘gardiens’, qui restent sans doute dans les arbres pour surveiller les alentours et s’assurer qu’il n’y a pas de prédateur dans les parages.

En effet, nous avons remarqué que si les perroquets prennent conscience qu’un oiseau de proie plane au-dessus de la clairière, entendent des bruits d’origine humaine (comme des voix) ou entendent un cri d’alarme lancé par des oiseaux d’une autre espèce, ils s’envolent immédiatement d’un seul mouvement et quittent la clairière. En général, ils ne revenaient pas ce matin-là, quelle que soit l’heure à laquelle ils avaient été dérangés.

Enfin, les perroquets n’aiment pas la pluie. Ils viennent plus tôt et restent plus longtemps dans la clairière pendant la saison sèche et viennent plus souvent et restent plus longtemps dans la clairière les matins où il ne pleut pas. Nos analyses montrent qu’en juillet particulièrement, au milieu de la longue saison sèche et quand les perroquets étaient les plus nombreux, ceux-ci venaient le plus souvent et restaient le plus longtemps.

Conclusions

Les clairières sont importantes pour les perroquets

Les perroquets gris visitant la clairière d’Ungwe presque tous les matins. Leur visite se fait suivant un rituel particulier, qui commence par un rassemblement ponctué par les chants des perroquets dans les arbres autour de la clairière, suivi du survol de la clairière par un perroquet qui, en atterrissant, marque le début de la période d’une heure pendant laquelle les perroquets se nourrissent dans la clairière. Ces observations sont intéressantes car elles confirment d’autres observations faites par des biologistes dans d’autre clairières en République Démocratique du Congo, au Cameroun et en République d’Afrique Centrale. Même dans des clairières situées dans différents pays, les perroquets suivent le même rituel : visiter les clairières très fréquemment, arriver à l’aube, se percher, chanter pendant une heure, un perroquet atterrit, le groupe atterrit, les perroquets restent pendant une heure, les perroquets partent avant midi. Un comportement aussi récurrent, qui se répète dans la même espèce à des centaines voire des milliers de kilomètres de distance montre que la visite des clairières en groupe est un comportement important qui joue un rôle clé dans l’écologie de l’espèce entière. Il y a quelque chose dans ces clairières humides qui est si important pour les perroquets qu’ils cherchent ces clairières et prennent la peine de les visiter presque chaque jour. Mais quelle est cette chose?

C’est là que nos observations du comportement des perroquets peuvent nous aider à mieux comprendre ce qui se passe dans ces clairières. En effet, nous avons vu que l’activité principale des perroquets une fois au sol est de manger des plantes aquatiques. Ces plantes doivent donc constituer une source de nourriture importante pour les perroquets. Il se peut que les perroquets trouvent dans ces plantes quelque chose qui ne se trouve pas dans les fruits, graines ou fleurs qu’ils trouvent dans les arbres. Malheureusement, comme les observateurs devaient se cacher dans la forêt pour ne pas être vus des perroquets, ils étaient trop loin pour pouvoir distinguer exactement de dont se nourrissaient les oiseaux : s’agissait-il des tiges des plantes, de leurs racines ou même de boue ? Jusqu’ici, aucun des scientifiques qui a rapporté avoir vu les perroquets dans une clairière n’a pu identifier exactement la raison des visites des perroquets, l’un d’entre eux ayant suggéré qu’ils venaient boire tandis qu’une autre affirme avoir vu les perroquets manger de la boue.

La consommation de terre, que l’on appelle géophagie, est assez commune dans le règne animal. Un des exemples les plus connus de géophagie concerne les aras et les perroquets d’Amérique du Sud qui se regroupent sur des affleurements rocheux pour y lécher la surface des pierres et la terre qui les recouvre. Les scientifiques pensent que la terre et la surface des rochers contiennent des minéraux importants, comme le sel ou le magnésium, ainsi que d’autres substances qui pourraient aider les oiseaux à digérer. Il n’est donc pas impossible que le même comportement ait apparu chez les perroquets africains ! Les plantes, l’eau et la terre des clairières de la forêt tropicale pourraient en effet être particulièrement nutritives ou contenir des minéraux ou des substances intéressantes pour les perroquets. Pour mieux comprendre les raisons derrière les visites des perroquets dans la clairière, il faudrait donc un inventaire détaillé des aliments consommées et des analyses pour connaître leur composition exacte. Malheureusement, ce type d’analyse est très difficile à mener dans des régions si éloignées des laboratoires nécessaires.

La sécurité est dans le nombre de perroquets

Les perroquets visitent les clairières en groupes. Nos données montrent que plus les perroquets sont nombreux, ce qui est souvent le cas pendant la saison sèche, plus longtemps ils restent sur le sol de la clairière. C’est parce que plus il y a de perroquets, plus le groupe se sent en sécurité. Plus d’yeux pour détecter les prédateurs, et dans le cas d’une attaque, on a moins de chance de se faire attraper si on fait partie d’un gros groupe. Imaginez des dizaines de perroquets qui s’envolent ensemble dans un tourbillon de plumes : il y a de quoi rendre confus n’importe quel prédateur qui ne saurait plus où donner des crocs ou du bec.

Sur l’année que portait notre étude, le plus grand groupe de perroquets comptait plus de 150 oiseaux, mais la moyenne se situait bien en-dessous avec une quarantaine de perroquets présents sur le sol de la clairière. C’est peu comparé aux observations faites par les scientifiques en RDC et au Cameroun il y a quelques années, où ils ont mentionné des centaines de perroquets se déplaçant sur le sol des clairières. Malheureusement, comme il n’y a jamais eu d’observations documentées à Ungwe dans le passé, on ne sait pas si ces chiffres sont normaux pour la région, ou s’il y avait beaucoup plus de perroquets avant. C’est un fait que le perroquet gris est devenu une espèce menacée d’extinction, et les populations étudiées depuis plusieurs décennies se sont toutes réduites de manière assez alarmante. Le piégeage des perroquets pour les vendre comme animaux de compagnie est la principale raison de la disparition de ces magnifiques oiseaux et malheureusement, cette activité a eu lieu – et a peut-être encore lieu – dans l’Aire de Conservation de Nkuba. Les clairières sont des endroits particulièrement prisés par les braconniers, car il y est plus facile d’attraper de nombreux perroquets relativement facilement.

Nos recommandations pour protéger les perroquets

Il est crucial de protéger les perroquets contre le braconnage dans les clairières qu’ils visitent. Pour pouvoir y arriver, les scientifiques et conservateurs de la nature doivent travailler étroitement avec les communautés locales qui sont les experts de la forêt. La première étape est de localiser les clairières visitées par les perroquets et de déterminer si les braconniers y sont actifs. Deuxièmement, il faut sensibiliser les communautés à l’importance de conserver la biodiversité et les perroquets, qui jouent un rôle important dans la dissémination des graines de plusieurs plantes et arbres fruitiers. Troisièmement, il est nécessaire d’aider les communautés locales à trouver des sources de revenus alternatives afin qu’elles ne dépendent pas du braconnage pour survivre. Enfin, si c’est possible, il serait mieux de pouvoir limiter l’activité humaine autour des clairières, surtout le matin quand les perroquets se nourrissent.

Et ensuite?

Ce projet était tellement intéressant que j’y ai travaillé de nombreuses heures sans aucune rémunération (en fait, j’ai récolté et analysé les données puis rédigé et publié l’article entièrement gratuitement). Mais cela valait la peine, car Frederik et moi avons non seulement publié notre premier article scientifique en tant que co-auteurs, mais en plus nous avons montré à quel point les clairières sont importantes pour les perroquets gris du bassin du Congo. Nous espérons plus que tout que cet article va inspirer d’autres chercheurs et contribuer à améliorer la protection des perroquets dans leur milieu naturel. Il y a encore tant de choses à découvrir sur les raisons pour lesquelles les perroquets visitent les clairières ! Y-mangent-ils les plantes ou la boue ? Le font-ils pour absorber des minéraux ou d’autres substances ? Combien de ces clairières peut-on trouver dans le bassin du Congo et les tous les perroquets gris s’y comportent-ils de la même manière ?

Pour répondre à ces questions, il serait crucial d’étudier la composition de l’eau et du sol de ces clairières, et d’en savoir plus sur les plantes qui y poussent. Malheureusement, ces clairières se trouvent souvent au plus profond de la forêt tropicale, là où il est difficile d’amener un laboratoire et de mener des études détaillées. Nous espérons que certains scientifiques chevronnés vont pouvoir trouver plus de ces clairières et y effectuer les études que nous n’avons pas eu le temps et les moyens de mener.

L’article scientifique a été publié en août 2024 dans le célèbre journal Ecology and Evolution. Si vous voulez en savoir plus sur cette étude et sur les perroquets gris d’Ungwe, vous pouvez accéder à l’article complet (en anglais) Ici. L’article contient également une bibliographie complète de tous les articles que nous avons utilisé pour cette analyse, n’hésitez pas à y jeter un coup d’œil !

Frederik et moi avons eu tant de chance de pouvoir passer du temps à Ungwe en compagnie des perroquets. Nous trouvions qu’il était important d’accompagner les observateurs et de tester le protocole avec eux avant de lancer le projet officiellement. Mais cela voulait aussi dire que nous avons eu le privilège d’assister à un spectacle unique en son genre, et nous avons adoré ces moments dans la forêt. Vous pouvez en lire plus sur nos rencontres avec les perroquets dans notre postLa danse des perroquets gris d’Afrique : un rituel époustouflant de la forêt tropicale".

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