Le Nord Kivu était en état de siège. Quelques semaines auparavant, Frederik et moi avions été bloqués sur la route par des soldats armés de kalashnikov qui nous avaient empêchés de rentrer à notre base après un voyage dans une ville voisine. Les mouvements étaient contrôlés dans toute la région et même ici, à Goma, nous ne pouvions ignorer la tension ambiante ni les militaires armés postés dans les rues. Alors que nous regagnions notre chambre d’hôtel sous le regard d’un soldat, Frederik et moi attendions impatiemment d’embarquer dans notre vol pour la Belgique et nous sentir saufs. Pourtant, et malgré l’insécurité politique, il y avait encore une chose que nous aurions voulu faire avant de quitter le Congo définitivement : Visiter le fameux parc national des Virunga.
Notre séjour en RDC avait été difficile à plein de niveaux, et la nouvelle situation politique n’aidait en rien la situation, mais qu’importent les épreuves, nous avions toujours trouvé du réconfort dans la nature et sa beauté. Aussi épuisés ou affamés que nous ayons été à Nkuba, contempler la forêt tropicale était notre petit bonheur. De même, l’heure passée à Kahuzi-Biega avec Bonane était un des moments les plus inoubliables de notre vie. Alors maintenant que nous étions à Goma, aux portes d’un des parcs nationaux les plus iconiques du monde, nous étions consumés par l’envie de nous y rendre et de nous repaître de la beauté de sa nature.
C’était un rêve d’enfance de Frederik que de se rendre dans le plus ancien, le plus riche en biodiversité et probablement le plus impressionnant parc national d’Afrique. Les Virunga est un joyau de ce monde, une étendue sauvage de 7800 km² contenant un large éventail d’habitats allant des savanes, steppes, marais, et forêts tropicales aux zones alpines de ses volcans. Il est possible d’y voir plus de 700 espèces d’oiseaux et 200 espèces de mammifères, dont évidemment les rares gorilles de montagne en danger critique d’extinction.
Malheureusement, le parc des Virunga est aussi un des plus dangereux au monde et ce, depuis sa création en 1925. Non seulement est-il situé dans une des zones de guerre les plus instables de la planète, mais il est également peuplé de groupes rebelles armés déterminés à prendre contrôle de la région. En effet, les Virunga n’est pas seulement riche en biodiversité, mais aussi en ressources naturelles diverses attirant l’avidité des populations congolaises extrêmement pauvres. Or, diamants et pétrole sont autant de trésors qui gisent dans le sous-sol du parc national des Virunga et beaucoup de gens sont prêts à se tout pour obtenir le droit d’extraire ces ressources précieuses, quel que soit l’effet sur la faune et la flore de la région. En résulte une guerre sans merci qui perdure depuis des décennies entre les rebelles et les protecteurs du parc.
En route pour les Virunga en toute sécurité avec notre garde rapprochée
C’est dès que nous avons été assurés que nous voyagerions en toute sécurité que Frederik et moi avons décidé de nous lancer dans cette nouvelle aventure : visiter les gorilles de montagne du parc national des Virunga. C’est comme ça qu’un beau matin du 08 octobre 2021, nous sommes partis en voiture du bureau du parc national des Virunga situé à Goma, accompagnés d’un garde armé.th Juste en-dehors de la ville, nous avons rencontré un camion rempli d’hommes également armés jusqu’aux dents : notre garde rapprochée. Nous étions contents d’être si bien entourés car quelques semaines auparavant, un diplomate italien et son chauffeur avaient été tués dans une embuscade sur la route même que nous empruntions. J’eus un frisson en passant à l’endroit exact où les meurtres avaient eu lieu, mais bien vite, je reportai mon attention sur la route devant moi : nous avions atteint l’entrée du parc. Quelques minutes plus tard, ayant laissé notre garde derrière nous, nous atteignions le lodge où nous allions passer les deux prochaines nuits. En ces quelques minutes, nous étions entrés dans un monde complètement différent, un paradis tropical où la tension avait disparu, remplacée par le calme de la nature. Comme il était difficile de croire qu’une telle tranquillité puisse exister au cœur d’une zone secouée sans cesse par la guerre et le conflit.
Bien entendu, c’est accompagné de gardes armés que nous sommes partis le lendemain matin à la rencontre tant attendue des gorilles. Personne n’a eu besoin de nous dire que les fusils n’étaient pas là pour nous protéger des gorilles, mais de potentiels rebelles. Les hautes clôtures de fils barbelés que nous longions nous rappelaient aussi que protéger le parc et ses gorilles est une bataille de tous les jours. Mais rien ne pouvait gâcher notre bonne humeur alors que nous marchions paisiblement dans l’ombre du volcan et le long de la forêt sauvage en discutant avec les gardes de leur passion des gorilles. Dans les Virunga, les gorilles sont continuellement pistés afin de pouvoir les étudier et de les protéger jour et nuit. Il ne nous fallut qu’une demi-heure pour rejoindre le groupe avec lequel nous allions passer une heure magique.
La rencontre avec les gorilles
Nous étions enfin arrivés dans la clairière. Le principe était de trouver le groupe pendant leur pause de midi et en effet, la quinzaine de gorilles était soit en train de dormir, soit calmement posé dans la végétation, grignotant une plante ou l’autre. Un seul ne semblait pas avoir compris qu’il était temps de se reposer : un bébé gorille se balançait dans les branches et embêtait sa maman sans relâche. La petite boule de poils noirs était adorable et très curieuse de nous, nous jetant sans cesse des regards inquisiteurs mais en faisait attention de rester à distance, évidemment ! Bien que clairement désireuse de prendre du repos, sa mère ne lâchait pas son petit des yeux et le prit plusieurs fois dans ses bras avec tendresse. Je n’oublierai jamais le regard d’adoration avec lequel ce petit regardait sa maman, les gestes doux de celle-ci et le sentiment de connexion que je ressentais avec ce groupe de gorilles si semblables à nous.
La différence physique entre les gorilles de montagne des Virunga et les gorilles de Grauer du parc de Kahuzi-Biega est immédiatement apparente. Parce qu’ils vivent en altitude où il fait plus froid que dans la forêt tropicale des plaines, les gorilles de montagne sont beaucoup plus velus que leurs cousins de basse altitude, ce qui leur donne un aspect beaucoup plus mignon ! Cela n’empêchait pas les trois énormes dos argentés assis ensemble d’être intimidants. C’est quand l‘un d’entre eux décida un peu plus tard de nous charger en criant que j’ai eu vraiment peur pour la première fois depuis que j’étais arrivée dans le parc. Et même si je sais que dans ce cas de figure, la seule bonne réaction à adopter est de ne surtout pas bouger et de diriger son regard vers le sol en signe de soumission, je n’ai pas pu m’empêcher de reculer de quelques pas et aurais même peut-être tenté de fuir si les gardes ne m’avaient pas maintenue en place. Mais cette charge n’était qu’une preuve de force et après nous avoir montré qui était le chef, le dos-argenté reprit tranquillement sa place près des autres gorilles.
Une heure est bien trop courte pour profiter pleinement de la compagnie des gorilles. Mais ni Frederik ni moi ne voulions déranger ces gentils géants, et c’est avec un grand sourire que nous avons repris le chemin du lodge et puis de Goma. Nous n’oublierons jamais notre rencontre avec les gorilles de montagne.
Pourquoi visiter les gorilles du parc national des Virunga ?
Alors que nous nous émerveillions devant les gorilles, Frederik et moi avions pleinement conscience du privilège que nous avions d’être là. Mais la vraie valeur de notre visite allait au-delà de notre expérience personnelle. Chaque dollar dépensé dans le parc national des Virunga supporte les gardes qui risquent leurs vies chaque jour pour protéger ce sanctuaire ainsi que les communautés qui dépendent du parc pour leur survie. Alors oui, visiter les gorilles des Virunga n’est peut-être pas aussi sûr qu’ailleurs, mais votre support financier y est tellement important. La protection du parc et de ses animaux est un travail très dangereux, et trop de gardes meurent chaque année dans l’exercice de leurs fonctions. Pour aider leurs veuves et leurs familles, le lodge et le bureau du parc à Goma vendent également divers produits d’artisanats fabriqués par ces femmes à la main et dont les bénéfices leur sont directement reversés. N’hésitez donc pas à vous laisser tenter par ces articles, même si vous ne visitez pas le parc !
La visite des gorilles de montagne dans les Virunga présente un autre gros avantage : son petit prix. Le permis pour voir les gorilles des Virunga coûte $400 par personne, ce qui ne représente que la moitié de ce que vous payeriez dans le parc national de Bwindi en Ouganda ($800) et moins du tiers de ce que le permis coûte dans le parc national des Volcans au Rwanda ($1500). Si comme nous, vous avez un budget limité, c’est une offre assez alléchante.
Alors si vous vous trouvez dans la région du Nord-Kivu en République Démocratique du Congo et que vous ressentez l’appel de la nature, ou que vous rêvez de voir les gorilles, sachez que visiter les Virunga ne changera pas seulement votre vie, mais aussi la leur et celle des gens qui vivent en harmonie avec les gorilles. Grâce à la présence de votre garde rapprochée, le risque est en fait minime. Mais bien entendu, avant de planifier un voyage près de Goma, il est impératif que vous vous informiez sur la situation sécuritaire dans la région et si vous arrivez là-bas, prenez toutes les précautions nécessaires !
Si vous voulez en savoir plus sur le parc national des Virunga et leurs gorilles, visitez leur site . Vous pouvez également regarder le documentaire fascinant appelé ‘Virunga’ actuellement disponible sur Netflix.
Face à la guerre et à la destruction, le parc national des Virunga reste un symbole d’espoir. Un endroit où la beauté de la nature prospère envers et contre tout. Grâce à votre visite, vous pourriez contribuer à le protéger, et à assurer que les générations futures pourront partager l’émerveillement que nous avons ressenti alors que nous nous trouvions face-à-face avec les gorilles.